Numérique, de quoi es-tu le nom ?

Note : ce texte a été écrit dans l’optique d’en faire un épisode pilote d’un podcast « culture numérique ».  

Numérique ! Voilà bien un terme qui ne mérite plus aucune explication en 2021, près d’un an après le début d’une pandémie qui nous a mis au Zoom forcé, initié à l’apéro-visio entre amis, fait basculer au binge watching sur Netflix ou OCS.

Mais derrière ce terme, « numérique », devenu d’un usage quotidien, répété ad nauseam, se cache une grande complexité sémantique, c’est à dire dans le sens linguistique de ce mot, politique, et presque philosophique. Si vous n’êtes pas convaincus, lisez la suite !

Numérique, d’un adjectif technique à un substantif

Il est toujours régénérant de se rappeler que le terme numérique est avant tout un adjectif, censé qualifier ce qui s’évalue en nombre, est représenté en nombre. Représentez-vous deux armées devant vous, l’une compte 2 000 soldats, l’autre seulement 1 000 soldats : la première est en supériorité numérique.

Lorsque des appareils techniques ont commencé à stocker, traiter et transmettre de l’information en la représentant en nombre, on a commencé à parler d’appareils, ou de systèmes numériques. C’était le cas des ordinateurs bien sûr, mais aussi des appareils photos numériques, des microphones, des câbles, etc. Aujourd’hui, la grande majorité de nos infrastructures, équipements et services techniques sont numériques : ils stockent, traitent et transmettent de l’information représentée sous forme de nombres.

La fulgurante démocratisation de ces nouveaux systèmes numériques, avec les ordinateurs, Internet dans un premier temps puis le Web et surtout les smartphones dans un second temps, a peu à peu conduit à diluer, jusqu’à effacer la dimension technique de l’adjectif numérique. On a alors commencé à parler d’économie numérique, de société numérique, de transformation numérique, de fracture numérique. Numérique restait un adjectif permettant de qualifier un sujet, mais il avait déjà perdu son caractère technique, puisque l’économie numérique ne transmet a priori pas d’information représentée en nombre…

Enfin, parachevant le processus, l’adjectif numérique est devenu substantif, c’est à dire qu’il est devenu le sujet lui-même. Il est désormais tout à fait commun de parler de numérique, du numérique. Il est d’ailleurs devenu fréquent que le numérique soit invoqué comme la cause de tous nos maux, ou à l’inverse, comme la solution à tous nos problèmes.

Le numérique, un terme polysémique

Aujourd’hui, on dit que le numérique est un terme polysémique, c’est à dire qu’il a plusieurs sens, plusieurs significations.

Le numérique peut servir à nommer l’ensemble des techniques de l’information et de la communication. On y retrouvera par exemple et en vrac les ordinateurs et autres équipements personnels, les réseaux informatiques, ou encore les infrastructures, les réseaux et les terminaux de télécommunications.

Il permet de caractériser des usages découlant d’appareils numériques, que ce soit pour faire des recherches sur internet, publier une image sur Instagram, réaliser une visio sur Zoom.

Il permet aussi de caractériser ce qu’on appelle les NBIC (NBIC pour Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) et l’intelligence artificielle.

Le numérique, un phénomène pervasif et un nouveau paradigme

Vous comprenez maintenant pourquoi parler de numérique, dire que le numérique est un bienfait ou un danger pour l’humanité, est périlleux compte tenu de son caractère polysémique. Pour se réconcilier avec cette complexité, on peut peut-être envisager deux niveaux de langage.

Le numérique comme nouveau paradigme, cette nouvelle façon de comprendre notre monde et notre accès à la connaissance et à l’information, peut être compris comme un terme volontairement englobant. C’est bien le numérique avec tout ce qu’il comporte qui est un phénomène pervasif1, c’est à dire qu’il pénètre toutes nos activités, y compris les plus intimes. C’est également le numérique dans son ensemble qui constitue une révolution, que les chercheurs en sciences humaines comparent avec l’invention de l’imprimerie. Une révolution qui commence par la façon dont l’humain interagit avec les connaissances, et se répand ensuite dans tous les pans d’une société.

Mais pour pouvoir discuter et parfois débattre du numérique dans un domaine précis, pour pouvoir le critiquer, pour pouvoir appeler à le transformer, il nous faudra sans doute faire l’effort d’affiner notre vocabulaire. Au lieu de parler de numérique, parler de technologies numériques pour parler de l’intelligence artificielle ou de la blockchain. Parler d’équipements numériques pour évoquer des ordinateurs personnels, ou d’infrastructures numériques pour parler de réseaux.

Bibliographie et ressources

  1. Selon la définition qu’en donne Dominique Boullier dans son livre, Sociologie du numérique

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